A l’occasion de la sortie du film L’incroyable histoire du facteur Cheval avec Jacques Gamblin dans le rôle titre et Laetitia Casta qui joue sa femme, je me suis replongée avec plaisir dans les livres d’art et la biographie consacrée à ce personnage atypique.

Palais idéal du facteur Cheval, Gérard Denizeau, Nouvelles éditions Scala, 2011
Je viens de la Drôme et j’ai étudié l’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, notamment l’art naïf et l’art brut de Jean Dubuffet. Le facteur Cheval a été une référence pour de nombreux artistes avant-gardistes comme Pablo Picasso, André Breton, Max Ernst, Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle qui assume totalement la filiation avec son Cyclope de Milly la forêt…

Les colonnes-palmiers en pierre du parc Guëll, par Gaudi
Contemporain de l’architecte catalan Gaudi et de sa ville utopique le parc Guëll à Barcelone, le facteur Cheval s’est lui aussi consacré tout entier à son oeuvre.
Le facteur Cheval, jusqu’au bout du rêve
Nils Tavernier
Flammarion, 2018
346 pages
19€

Droits réservés Flammarion
Le résumé :
Nils Tavernier, le réalisateur du biopic consacré au facteur Cheval et à sa famille, a écrit cette biographie historique très complète et précise. Structurée en trente chapitres assez courts, elle raconte aussi la genèse du film.
Personne n’était aussi bien placé que Nils Tavernier pour écrire la vie d’un homme qu’il a étudié avec attention pendant plus d’une année pour construire son film.
Le réalisateur a trouvé un excellent sujet : l’histoire d’un homme simple, taiseux, qui s’est lancé dans un pari fou : construire un palais pour sa fille à partir de pierres ramassées lors de ses trente kilomètres hebdomadaires que comptaient sa tournée de facteur à Hauterives, Drôme.

Droits réservés Le palais idéal du facteur Cheval
Le thème de l’ouvrage est de raconter une histoire d’amour familiale qui résiste aux deuils, aux épreuves. Le film de Nils Tavernier montre un homme qui a déployé une énergie de faire exceptionnelle, contre vents et marées, malgré les critiques acerbes de ses contemporains dans son village.
Comment un homme d’âge mur (il commence à la quarantaine pour finir 33 ans plus tard son palais à 78 ans) est parvenu à cumuler des tournées de 30 kms hebdomadaires à pied avec plus de 93 000 heures de travail de maçonnerie soit 10 000 journées de travail ? Entre 1879 et 1912, il n’ y avait ni les 35 heures, ni les congés payés…
Mon avis :
C’est un document historique très précis qui fait la part belle aux archives. Le facteur Cheval étant une personnalité à l’origine de bon nombre de publications universitaires et historiques, cette biographie ne pouvait pas se permettre des erreurs ou des approximations.
Autant le film pourra susciter la curiosité du grand public autant la biographie historique s’adresse à un public passionné d’Histoire, qui s’intéresse particulièrement à la France rurale du 19eme siècle. Le ton adopté par l’auteur est pourtant pédagogue : il cite les grands événements historiques du siècle, les inventions techniques mais aussi les évolutions culturelles de l’époque.
Le facteur Cheval distribuait le journal, des illustrés comme le Magazine pittoresque, des cartes postales venues d’Orient, d’Asie…
C’est ce qui m’a vraiment plu dans ma lecture : comprendre comment ce facteur modeste aux origines prolétariennes, qui n’a jamais étudié l’art, fut capable de construire un palais sans aucunes règles d’architecture et comment il a assimilé des références artistiques pointues des quatre coins du monde : la référence à la statuaire de l’île de Pâques est particulièrement saisissante.

Non, non nous ne sommes pas au Cambodge mais bien dans la Drôme !
A partir de 1905, le palais idéal du facteur Cheval commence à connaître un vrai engouement régional, voire national et européen grâce à l’essor du chemin de fer et du tourisme naissant.
Désormais retraité, Ferdinand Cheval engage une jeune bonne pour ménager sa femme et faire visiter son oeuvre aux touristes. Il se fâche rapidement avec un jeune photographe, Louis Charvat, qui commit l’outrecuidance de faire commerce de cartes postales de son palais sans lui reverser de droits d’auteur.
Ce livre commence et termine par les tractations entre autorités du ministère de la Culture en 1969 : des débats houleux pour déterminer si oui ou non le palais idéal du facteur Cheval était une oeuvre d’art méritant d’être classée comme d’autres monuments nationaux.
Puis dans les annexes du livre, l’autobiographie rejoint la biographie historique puisqu’en quelques pages, Nils Tavernier raconte son expérience personnelle avec cette histoire : comment il a voulu la traiter.
Il a réalisé une superbe fresque historique et familiale où pour une fois, l’artiste ne termine pas sa vie, seul dans l’ombre mais auréolé de gloire. Nils Tavernier a même qualifié son film de feel good movie.
Saluons les prestations scéniques de Jacques Gamblin mais aussi de Laetitia Casta, une grande actrice que j’apprécie énormément tant son répertoire de rôles est varié. Elle s’est construit une filmographie à la fois française et internationale, intellectuelle et populaire. Elle est aussi crédible dans le rôle d’ Arletty que dans celui d’une paysanne drômoise du 19eme siècle.
Ma note :
4/5 sardines
Nils Tavernier raconte avec passion un homme qu’il a pris plaisir à filmer sous les traits de Jacques Gamblin tant son portrait psychologique était passionnant, c’est ce qu’il arrive à transmettre à ses lecteurs. C’est un ouvrage de qualité qui étudie l’Histoire de France du 19eme siècle, la sociologie et l’histoire de l’art.
Il rend hommage à la Poste et au métier de facteur. La fondation de la Poste est d’ailleurs partenaire de Flammarion, l’éditeur.
Je vous recommande ce livre qui séduira tous les passionnés d’Histoire, je regrette cependant que la couverture soit un peu bâclée à mon gôut, il y a quelques photographies en noir et blanc, un peu floues mais on appréciera l’effort d’avoir inséré des reproductions du palais idéal, indispensables pour les lecteurs qui n’ont jamais visité cette oeuvre purement décorative.
Saluons la qualité du site Internet du musée qui donne vraiment envie de planifier sa visite dès l’arrivée des beaux jours. Depuis que le site a été reconnu monument national en 1969 par André Malraux, il attire chaque année plus de 170 000 visiteurs. C’est le facteur le plus célèbre au monde.
Le palais idéal du facteur Cheval, Hauterives, Drôme, www.facteurcheval.com
Cet article consacré au facteur Cheval fait suite à une série consacrée aux artistes qui sont devenus les ambassadeurs de leur région comme Monet à Giverny ou prochainement Gaudi à Barcelone.