Ces derniers temps pour me décider à aller au musée (après cinq ans d’études à l’Ecole du Louvre, j’ai pris le large), j’ai privilégié les expositions consacrées aux dessinateurs et auteurs de BD, une déformation professionnelle de libraire sans doute. Je préfère désormais les expositions de société qui étudient la culture populaire grand public : celle qui parle à tous.
J’ai aimé chroniquer dans mon blog la rétrospective consacrée à Georges Rémy dit Hergé au Grand Palais en 2016-2017, vous parler du biopic de l’auteure de Mary Poppins qui a vendu les droits de son livre à Walt Disney raconté dans le film Dans l’ombre de Mary, ou encore vous raconter ma visite à l’exposition consacrée au Petit Nicolas, à la mairie du 4eme arrondissement quand les films familiaux sont sortis au cinéma.
Pour moi, René Goscinny est un génie au même titre que Walt Disney ou Tintin. Entouré des meilleurs dessinateurs de BD de l’époque que ce soit Albert Uderzo, Jean-Jacques Sempé ou Morris, il a su à chaque fois capter qui était son lectorat et comment l’émouvoir : les racines latines de nos ancêtres les Gaulois, les souvenirs d’enfance de la cour de récréation un peu comme les romans autobiographiques de Pagnol ou les photographies en noir et blanc de Robert Doisneau.
René Goscinny, Au delà du rire, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2018.
C’est l’exposition qui m’a marquée en 2018. Elle retraçait le parcours d’un génie comique, un écrivain exigeant qui a opéré une vraie révolution culturelle avec sa galerie de personnages célèbres : Astérix et Obélix, Lucky Luke et les Dalton, Le petit Nicolas, Iznogoud… Ainsi Goscinny a effacé toute barrière entre culture savante et culture populaire : les élites et les classes laborieuses rient au même humour.
A chaque fois, le public a savouré ses histoires, ses jeux de mots et ses gags cocasses : 370 millions d’albums d’Astérix vendus dans 111 langues, 120 millions d’albums de Lucky Luke, 2120 personnages crées, 15 millions d’albums du Petit Nicolas . René Goscinny est un phénomène culturel de 500 millions d’albums vendus à travers le monde depuis 60 ans.
L’exposition du MAJH retraça le parcours personnel d’un fils d’immigrés juifs ukrainiens : un héritage juif d’Europe central, enrichi par un exil argentin et nord-américain, teinté du classicisme de la tradition française.
Les ancêtres de Goscinny sont arrivés en France en 1905, ils étaient imprimeurs. Ce n’est pas pour rien que son héros s’appelle Astérix comme un caractère d’imprimerie. Ils ont été naturalisés français en 1926. Sentant arriver la menace, la famille de Goscinny émigre en Argentine mais les oncles et tantes seront déportés.
En 1943, le père de René décède, s’ensuit un nouvel exil aux Etats- Unis, où il ne cessera de caricaturer les nazis par le dessin et l’humour. J’ai vraiment été touchée par la scénographie de cette exposition car on voit dans la cour, les noms de déportés sur une paroi du mur comme le mur des Justes, du mémorial de la Shoah.
J’ai appris beaucoup de choses sur l’oeuvre de René Goscinny à travers cette exposition : notamment à travers la dernière partie intitulée Le zetser et le philosophe qui explique le geste du typographe : le zetser en yiddish avec sa mise en scène de machines à écrire (j’ai même retrouvé le même modèle Hermès que la mienne) et de caractères d’imprimerie.
Mais globalement, j’ai trouvé cette exposition un peu trop intello avec ses planches en noir et blanc et ses développements philosophiques. Pour moi, Astérix, Lucky Luke et Iznogoud, c’est la culture populaire qui parle à tout le monde avec des planches colorées comme celle-ci.
Surtout, qu’il se déroulait une exposition similaire à la Cinémathèque intitulée Goscinny et le cinéma, qui démontrait précisément en quoi René Goscinny avait été fortement inspiré par Walt Disney. Il aurait été judicieux d’organiser une grande rétrospective d’envergure comme celle consacrée à Hergé au Grand Palais.